Dans ce cas précis, cela vient de l'effet combiné de l'affiche du film "Les Noces funèbres" accroché à côté de mon poste de travail, et de l'envie de faire une séance photos en vieille robe de mariée au sanatorium abandonné d'Haincourt.

La séance ayant eu lieu mais sans la robe, j'ai finalement décidé de donner vie à ce personnage sous une autre forme. Mon envie était de créer une ambiance sombre, gothique et romantique, dans le sens classique du terme, et d'y placer un personnage d'allure douce et innocente. Ayant plus la démarche d'une illustratrice que celle d'une artiste peintre, j'ai commencé par imaginer son histoire : une jeune mariée qui serait morte avant de pouvoir épouser son fiancé. De fil en aiguille, j'ai pensé que ledit fiancé méritait bien d'être représenté lui aussi : désespéré d'avoir perdu sa belle, il choisit de la rejoindre dans la mort. Mais la tristesse de n'avoir pu être mariés de leur vivant fût si grande, qu'ils restèrent bloqués sur Terre, à moitié vivants et à moitié morts. Créer l'histoire de chaque personnage me permet d'imaginer une ambiance plus riche, mais aussi m'aide à ajouter une foule de petits détails propres à la plupart de mes compositions comme une marque de fabrique.

Les mariés morts-vivants font ainsi partie de ma série de portraits "carrés" et sont les premiers à former un véritable diptyque. Le marié est également la première (et quasi unique) représentation masculine de tout mon travail de peinture. Comme à mon habitude, j'ai commencé par ébaucher la composition générale, sauf que cette fois, je devais le faire pour les deux tableaux à la fois afin qu'il y ait une cohérence irréprochable entre les deux parties du diptyque. J'ai choisi un positionnement symétrique pour rester dans l'esprit des galeries de portraits classiques très rigides, mais en diagonale afin de les faire basculer dans un autre univers (et aussi l'un vers l'autre). Cela me permet de signifier littéralement qu'ils sont entre la vie et la mort, mais aussi de dynamiser la composition. De manière générale, j'aime jouer avec des formes très stables comme le format carré en décentrant le personnage ou en jouant avec la diagonale.

Ensuite, sans vraiment les placer dans un style ou une époque parfaitement définissable, je voulais leur donner une sensation d'ancien, de 19ème siècle pour rester dans la tradition du romantisme noir. Puis, je voulais certes qu'ils aient l'air ancien, mais également oubliés dans le temps, comme une vieille maison abandonnée. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'ils ont tous les deux cet éclat sur la joue rappelant une vieille poupée cassée.

Après la phase de création du personnage et de dessin, vient la dernière partie du travail : la reproduction sur toile, notamment en prenant soin des repères depuis le centre de l'élément principal de la composition (dans ce cas précis, en partant de la diagonale). Même si je n'ai au départ qu'une vague idée de l'ambiance que je souhaite créer, ce n'est souvent qu'à cette étape que je décide des teintes à utiliser puisque l'évolution du dessin depuis l'idée de départ influence forcément ce choix. Pour ce diptyque, j'ai choisi de rester dans une gamme assez réduite de tons passés, et de me concentrer sur un contraste entre des teintes vertes et violacées. Par la suite, j'ai finalement rajouté des touches de rouge dans le visage pour donner plus de vie et réveiller une ambiance générale un peu trop monotone à mon goût.

Puis, je travaille à coups de grands aplats de couleurs afin d'avoir une idée globale du fonctionnement de l'ensemble des couleurs. Ensuite, chaque partie est affinée en ajoutant des touches d'ombres et de lumière, et de plus en plus de détails pour en arriver enfin à l'étape que je préfère : l'ajout des détails les plus fins (yeux, bijoux, toiles d'araignée etc...).

Je reste en général très proche de l'esquisse d'origine mais certaines idées se révèlent parfois moins bonnes une fois mises en couleur : par exemple, le chandelier derrière le marié attirait trop l'attention et encombrait inutilement la composition. Je l'ai remplacé par plus de toiles d'araignées, créant un joli motif graphique et cassant la linéarité du fond sans parasiter le premier plan. J'ai aussi décidé au dernier moment de remplacer le motif de tête de mort du pendentif de la jeune mariée (qui n'avait finalement pas tellement de sens) par un portrait de son fiancé pour rappeler leur lien si les tableaux étaient vus séparément. Comme je le fais souvent, j'ai aussi légèrement rajusté les proportions du visage, lequel était trop rond et donc trop enfantin pour la fiancée.